Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/48

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haute et élancée de la jeune Cosaque ; il dévora rapidement des yeux ses formes vigoureuses et virginales que dessinait sa fine chemise en toile imprimée, ses beaux yeux noirs qui le regardaient avec une curiosité d’enfant effarouché. « La voilà ! » pensa-t-il. Puis il se dit qu’il en verrait encore bien d’autres, et il ouvrit la porte de la chambre. La vieille Oulita, aussi en seule chemise, balayait à demi courbée le plancher.

« Bonjour la mère ! dit-il, je suis venu à propos du logement… »

La vieille tourna vers lui son visage courroucé, où se voyait un reste de beauté.

« À qui en as-tu ? te moques-tu de moi ? Ah ! je t’en donnerai des nouvelles ! Que la peste t’étouffe ! » criait-elle en fronçant les sourcils et le regardant de travers.

Olénine avait toujours pensé que son brave régiment, exténué de fatigue, serait surtout bien reçu par les Cosaques, comme frères d’armes ; cette réception le frappa de stupeur. Pourtant, sans perdre contenance, il tâcha d’expliquer à la vieille qu’il payerait son loyer.

« Pourquoi viens-tu ? quelle plaie ! Hure rasée ! Le patron va venir et il t’en montrera bien d’autres ! Je n’ai nul besoin de ton maudit argent. Voyez-vous cela ! venir empester ma maison de tabac et m’en offrir la paye ! Fi de ton argent !… Que mille bombes te percent les entrailles ! criait-elle d’une voix perçante, interrompant Olénine.

— Vania a raison, pensa-t-il, un Tatare aurait plus de dignité. » Et il quitta la cabane, poursuivi par les vociférations de la vieille.

Au moment où il sortait, Marianna, toujours en chemise rose, mais la tête couverte jusqu’aux yeux d’un mouchoir blanc, s’élança hors du vestibule, glissa devant lui et descendit en courant du perron, clapotant de ses pieds nus sur les marches en bois. Puis elle s’arrêta, se tourna brusquement, jeta de ses grands yeux riants un rapide regard au jeune homme et disparut à l’angle de la maison.