Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/56

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— Nous sommes très bons, mon maître et moi, répondit Vania avec conviction. Nous sommes si bons, que, partout où nous avons demeuré, les maîtres de maison nous étaient très reconnaissants. Mais c’est que nous sommes nobles. »

La jeune fille s’était arrêtée pour l’écouter.

« Est-il marié, ton maître ?

— Non, il est jeune et garçon. Les gentilshommes ne se marient jamais très jeunes.

— Voyez-moi cela ! Gros comme un buffle, et trop jeune pour se marier ! Est-il votre chef à tous ? demanda la jeune fille.

— Mon maître est porte-enseigne, c’est-à-dire pas encore officier ; mais il a plus d’importance qu’un général ; c’est un grand personnage, car non seulement notre colonel, mais le tsar lui-même le connaît, dit Vania avec orgueil. Nous ne sommes pas des va-nu-pieds comme certains officiers d’armée : notre papa est sénateur, — il avait plus de mille âmes, et l’on nous envoie plusieurs milliers de roubles, à nous : c’est pourquoi on nous aime beaucoup. À quoi sert d’être capitaine, par exemple, si on n’a pas le sou ?

— Va-t’en, que je ferme la porte ! » interrompit la jeune fille.

Vania porta le vin à Olénine, et lui dit en français que la fil, cé tré jouli, et éclata d’un rire bête.


XIII


On venait de sonner la diane ; les habitants revenaient des champs ; le troupeau se pressait en beuglant vers les portes cochères, au milieu d’un nuage de poussière à mille paillettes d’or. Les femmes et les filles cherchaient leurs bêtes. Le soleil avait disparu derrière la chaîne de neige ; le crépuscule envahissait terre et ciel. Les jardins dispa-