Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/60

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Lucas se taisait pendant ce temps et ne quittait pas des yeux Marianna, que ses regards embarrassaient.

« Marianna, dit-il enfin, se rapprochant d’elle, vous avez logé un des chefs ? »

Marianna, comme d’habitude, ne répondit pas immédiatement et leva lentement les yeux. Lucas riait, et l’on sentait, en dehors des paroles, une affinité secrète entre le Cosaque et la jeune fille.

Une vieille femme répondit pour Marianna.

« Il est heureux qu’ils aient deux cabanes. Tomouchkeni n’en a qu’une seule et on a logé chez lui un des chefs, qui a encombré toute la chambre, et la famille ne sait plus où se fourrer. Est-ce croyable qu’on ait envahi notre stanitsa de cette horde ! Qu’allons-nous devenir ? On dit qu’ils vont travailler à quelque œuvre infernale.

— Ils construiront un pont sur le Térek, dit une des jeunes filles.

— J’ai entendu autre chose, dit Nazarka, s’adressant à Oustinka ; ils creuseront un énorme trou et y jetteront les filles qui n’aiment pas les jeunes gars. »

Tout le monde se mit à rire ; Ergouchow saisit dans ses bras une femme âgée, laissant de côté Marianna, dont c’était le tour.

« Pourquoi n’embrasses-tu pas Marianka ? demanda Nazarka ; il ne faut pas en manquer une.

— J’aime mieux la vieille, elle est plus appétissante, s’écria Ergouchow, couvrant de baisers la vieille Cosaque, qui se débattait.

— Il m’étouffe ! » criait-elle en riant.

Les rires furent interrompus par un bruit cadencé au bout de la rue. Trois soldats en redingote militaire, le fusil sur l’épaule, avançaient d’un pas mesuré ; ils allaient relever la sentinelle près de la caisse de la compagnie.

Le vieux caporal qui les conduisait les fit passer de manière que Lucas et Nazarka, qui se tenaient au milieu de la rue, durent leur faire place. Nazarka recula, mais