Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/62

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— Je t’assure que j’ai quelque chose à te dire ; viens, Machinka ! »

Marianna fit un signe de tête négatif sans cesser de sourire.

« Marianka ! sœur Marianka ! maman t’appelle pour souper ! criait en accourant vers le groupe le petit frère de Marianna.

— Je vais venir, répondit la jeune fille ; va, enfant, va seul ; je viens dans l’instant. »

Lucas se leva et ôta son bonnet.

« Il est aussi temps que je rentre », dit-il, feignant l’indifférence ; et, cherchant à dissimuler un sourire, il disparut à l’angle de la maison.

Il faisait nuit ; des myriades d’étoiles brillaient dans un ciel foncé ; les rues étaient vides et obscures. On entendait les rires de Nazarka et des femmes restées sur le terre-plein. Lucas s’était éloigné à pas lents, mais, dès qu’il eut tourné le coin, il se baissa et, retenant son poignard, il s’élança comme un chat, sans bruit, vers la cabane du khorounji. Après avoir traversé deux rues en courant, il s’arrêta et s’accroupit à l’ombre d’une haie, ramenant vers lui les pans de sa redingote.

« Que diable ! fit-il en pensant à Marianna, est-elle fière, celle-là ? Une véritable khorounjikha[1]. Mais attends ! »

Des pas de femme le tirèrent de ses réflexions ; il prêta l’oreille. Marianna, la tête baissée, venait droit à lui, marchant d’un pas rapide et cadencé, et frappant la haie d’une longue branche qu’elle tenait à la main. Lucas se souleva ; Marianna tressaillit et s’arrêta.

« Vilain maudit ! comme tu m’as effrayée ! Tu n’es donc pas allé à la maison ? » Et elle éclata de rire.

Lucas saisit d’une main la taille de la jeune fille et de l’autre lui prit le visage.

« C’est que j’avais quelque chose à te dire… Je te prie… »

  1. Femme ou fille d’officier.