Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/64

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Marianna se serra contre lui et l’embrassa sur les lèvres.

« Frère[1], murmura-t-elle en le serrant convulsivement ; puis elle s’arracha de ses bras, s’enfuit sans se retourner et entra dans la cour, sans égard aux instances du Cosaque, qui la conjurait de l’écouter.

— Va-t’en, on te verra ! s’écria-t-elle à voix basse ; voilà notre diable de locataire qui marche par la cour.

Khorounjikha ! pensait Lucas ; elle m’épousera ! cela va sans dire, mais je voudrais qu’elle m’aimât avant cela. »

Il alla rejoindre Nazarka chez Jamka, et, après avoir bu avec lui, il alla chez Douniachka et y passa la nuit, malgré l’infidélité de la fille.


XIV


Olénine était dans la cour quand Marianna rentra, et il l’avait entendue dire : « Notre diable de locataire… ». Il avait passé toute la soirée avec Jérochka sur le perron, où il avait fait apporter une table, la bouilloire et une bougie. Il prenait le thé et fumait son cigare en écoutant les récits de Jérochka, assis à ses pieds sur l’une des marches du perron. L’air était doux ; pourtant la bougie fondait, et la flamme vacillante jetait sa lueur tantôt sur la table et le service de thé, tantôt sur la tête blanche du vieux Cosaque. Les phalènes tournoyaient, répandant la fine poussière de leurs petites ailes, s’ébattant sur la table et dans les verres, entrant étourdiment dans la flamme de la bougie et disparaissant subitement dans l’obscurité au delà du cercle lumineux. Olénine et Jérochka vidèrent cinq bouteilles de vin nouveau. Chaque fois que Jérochka remplissait son verre, il trinquait avec Olénine, lui souhai-

  1. Frère, cousin, sont des petits mots de tendresse parmi le peuple.