Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/70

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ses pensées. Une chanson chantée par plusieurs voix frappa son oreille, il s’approcha de la haie et écouta. Des voix jeunes chantaient gaiement en chœur, et l’une d’elles, perçante et forte, couvrait toutes les autres.

« Sais-tu qui chante ? dit le vieux en se réveillant. C’est Loukachka, le djighite : il a tué un Tchétchène et fête son exploit. Il y a vraiment de quoi se réjouir ! Imbécile ! imbécile !

— Et toi, n’as-tu jamais tué personne ? » demanda Olénine.

Le vieux Cosaque se souleva brusquement sur ses coudes et approcha son visage de celui d’Olénine.

« Démon ! cria-t-il, que demandes-tu ? Il ne faut pas en parler. Est-ce chose facile de perdre son âme ? Oh ! est-ce facile ? — Adieu, père, ajouta-t-il en se levant ; je suis gris. Faut-il venir demain pour la chasse ?

— Viens.

— Prends garde, sois prêt de bonne heure, ou gare l’amende !

— Je serai levé avant toi », dit Olénine.

Le vieux s’en alla. Les chansons avaient cessé ; on entendit un bruit de pas et de joyeux propos. Au bout de quelques moments, les chants recommencèrent, et la voix puissante de Jérochka s’y mêlait. « Quels hommes, et quelle existence ! » pensa Olénine, et il rentra chez lui en soupirant.


XVI


Jérochka était un ancien Cosaque en retraite. Il y avait vingt ans que sa femme s’était enfuie après avoir passé à la religion orthodoxe, et avait épousé un sergent russe. Il n’avait pas d’enfants. Il disait vrai quand il assurait avoir été le plus beau garçon de la stanitsa. On le con-