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Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/74

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— Eh ! eh ! cela ne nous troublait pas, nous autres ! dit le vieux ; à ton âge, Jérochka volait des troupeaux entiers aux Nogaïs et passait le fleuve avec. Il m’est arrivé de vendre un très beau cheval pour un flacon d’eau-de-vie ou une bourka.

— Est-ce que les chevaux étaient à si bon compte ? demanda Lucas.

— Imbécile ! dit le vieux avec mépris ; on ne peut faire autrement : quand on vole, il faut être généreux. Quant à vous, vous ne savez probablement pas comment enlever des chevaux ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?

— Que répondre ? dit Lucas ; les hommes ont changé depuis.

— Imbécile ! les hommes ont changé ! dit le vieux, contrefaisant le jeune Cosaque ; oui, j’étais autre que toi à ton âge.

— Mais quoi donc ? » demanda Lucas.

Le vieux branla la tête d’un air méprisant.

« Diadia Jérochka était sans malice et généreux ; aussi toute la Tchetchnia était de mes amis. Quand l’un d’eux venait chez moi, je l’enivrais, je lui cédais mon lit ; — quand j’allais chez lui, je lui portais un cadeau. C’est ainsi que nous faisions, et pas comme vous. La jeunesse d’à présent prend son plaisir à grignoter des graines et à en cracher la pelure, conclut le vieux, contrefaisant ceux qui mangent et qui crachent.

— Tu as raison, dit Lucas, c’est juste !

— Veux-tu être un brave Cosaque ? Sois donc djighite et non paysan. Ce n’est pas malin d’acheter un cheval comme un vilain, de le payer et de l’emmener. »

Ils se turent tous deux quelques moments.

« Tu ne saurais croire quel ennui c’est au cordon et à la stanitsa ! Ils sont tous si craintifs, à commencer par Nazarka. Nous étions, l’autre jour, dans l’aoul. Guireï-Khan nous engageait à aller enlever des chevaux aux Nogaïs ; eh bien ! personne ne s’y est décidé, et je ne puis pourtant pas y aller seul.