Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/94

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vie future, comme il y avait longtemps qu’il ne l’avait fait. Tout était sauvage et solitaire, lugubre autour de lui. « Vaut-il la peine de penser à soi, se dit-il, quand d’un moment à l’autre on peut mourir sans que personne le sache et sans avoir rien fait de bon ! »

Il prit le chemin qu’il croyait être celui de la stanitsa. Il ne pensait plus à la chasse, il était harassé et jetait des regards terrifiés à chaque buisson, à chaque arbre, s’attendant à trouver la mort à chaque pas. Il erra longtemps sans savoir où il allait, et parvint à un canal où coulait une eau froide et trouble ; il se décida à en suivre le cours, sans savoir où il aboutirait. Les roseaux craquèrent tout à coup derrière lui ; il tressaillit et saisit son fusil. Il eut honte ; c’était son chien qui, hors d’haleine, avait plongé dans le canal et en buvait avidement l’eau froide.

Olénine se désaltéra aussi et suivit le chien, persuadé qu’il prendrait la bonne direction. Malgré ce fidèle compagnon, les alentours lui paraissaient de plus en plus sinistres. Le bois devenait plus sombre, le vent s’engouffrait de plus en plus dans le creux des vieux arbres ; de grands oiseaux planaient en sifflant au-dessus de leurs nids, la végétation devenait plus rare, les roseaux plus fréquents, et l’on apercevait de plus en plus de petites plaines sablonneuses portant la trace de bêtes fauves. Un bruit monotone et sinistre se mêlait au sifflement du vent. Olénine était morne et sombre. Il compta ses faisans ; il en manquait un, et sa petite tête ensanglantée restait seule accrochée à la ceinture. La terreur s’empara du jeune homme ; il eut peur et se mit à prier. Il craignait avant tout de mourir sans avoir rien fait d’utile ; il désirait ardemment vivre, et vivre pour accomplir quelque grand acte de dévouement.