Page:Tolstoi - La Pensée de l’humanité.djvu/60

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3. C’est un grand bonheur que d’être en communion avec les hommes ; mais comment faire pour s’unir à tous ? Je peux m’unir aux membres de ma famille ; mais aux autres ? Je peux m’unir à mes amis, à tous les Russes, à tous mes coreligionnaires. Mais comment faire pour m’unir à ceux que je ne connais pas, les étrangers, ceux qui professent une autre religion ? Il y a tant d’hommes et ils sont tous si différents ! Comment faire ? Il n’existe qu’un moyen : oublier les hommes, ne pas penser à s’unir à eux, et ne songer qu’à s’unir au seul principe spirituel qui vit en moi et en tous les hommes.

4. On dit que chaque homme peut être très bon et très mauvais et qu’il manifeste l’un ou l’autre sentiment suivant ses dispositions. C’est parfaitement exact. La vue des souffrances d’autrui provoque, non seulement chez des personnes différentes, mais chez le même homme des sentiments absolument contradictoires : parfois, la compassion, et, parfois, une sorte de mauvais plaisir qui va jusqu’à la plus cruelle méchanceté. J’ai eu l’occasion de le constater sur moi-même : tantôt j’avais pour tous les êtres une profonde compassion, tantôt j’éprouvais la plus grande indifférence, et, parfois, de la haine même. Cela, prouve clairement que nous avons deux façons, absolument opposées, de concevoir les choses : l’une, quand nous nous considérons comme des êtres séparés, quand tous les êtres nous sont absolument étrangers et qu’ils ne sont pas « moi ». Dans ce cas, nous ne pouvons éprouver pour eux autre chose que de l’indifférence, de l’envie, de la haine, de la malveillance.