Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/482

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« Non, ce n’est pas la peine ; je ne serai pas prête moi-même. »

Et aussitôt elle se demanda pourquoi le départ, impossible la veille, devenait admissible ce matin.

« Fais comme tu en avais eu l’intention, ajouta-t-elle, et maintenant va déjeuner, je te rejoins. »

Quand elle entra dans la salle à manger, Wronsky mangeait un bifteck.

« Cet appartement meublé me devient odieux, et la campagne m’apparaît comme la terre promise », dit-elle d’un ton animé ; mais, en voyant le valet de chambre entrer pour demander le reçu d’une dépêche, son visage s’allongea. Il n’y avait rien d’étonnant cependant à ce que Wronsky reçût un télégramme.

« De qui la dépêche ?

— De Stiva, répondit sans empressement le comte.

— Pourquoi ne me l’as-tu pas montrée ? Quel secret y a-t-il entre mon frère et moi ?

— Stiva a la manie du télégraphe ; qu’avait-il besoin de m’envoyer une dépêche pour lui dire que rien n’était décidé ?

— Pour le divorce ?

— Oui ; il prétend ne pas pouvoir obtenir de réponse définitive ; tiens, vois toi-même ».

Anna prit la dépêche d’une main tremblante ; la fin en était ainsi conçue : « Peu d’espoir, mais je ferai le possible et l’impossible ».

« Ne t’ai-je pas dit hier que cela m’était indifférent ? Aussi était-il parfaitement inutile de me