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RÉSURRECTION

dit, — pourquoi as-tu fait cela ? — Mais, — qu’elle répond, — pour me débarrasser de lui ! J’aime mieux la Sibérie que de vivre avec lui ! » — Elle voulait dire : « avec moi ! » — ajouta le paysan avec un sourire. — Enfin, la voilà qui s’accuse de tout. L’affaire était claire : en prison ! Et puis voilà qu’arrive le temps de la moisson. Ma mère est toute seule chez nous, et puis bien vieille, à peine capable de faire la cuisine. Alors, voilà que mon père s’en va chez l’ispravnik : rien à faire ! Il va chez un autre fonctionnaire, il va en trouver cinq l’un après l’autre : tous refusent de l’écouter. Nous allions déjà renoncer, quand nous tombons sur un employé, un finaud sans pareil. « Donnez-moi cinq roubles ! — qu’il nous dit, — moi, je vous la ferai sortir de prison ! »

Nous nous sommes entendus pour trois roubles. Eh bien, mon frère, il a fait comme il le disait ! Je commençais déjà à aller mieux ; je suis parti moi-même la chercher à la ville ; je mets les chevaux à l’auberge, je prends le papier, je cours à la prison. — « Qu’est-ce qu’il te faut ? — Voilà, que je dis, ma femme est ici enfermée chez vous ! — As-tu un papier ? » — qu’on me dit. Je donne le papier. On le regarde. — « Allons, qu’on me dit, entre ! » — Je m’assois sur un banc. Et puis, voilà qu’arrive un supérieur : — « C’est toi, qu’il me dit, qui t’appelle Vergounov ? — C’est moi. — Eh bien, attends encore un peu ! » — Au bout d’une heure, une porte s’ouvre ; on m’amène Fédosia, avec ses habits de chez nous. — « Eh bien ! que je lui dis, partons ! — Tu es venu à pied ? — Non, les chevaux sont à l’auberge. » — Nous retournons à l’auberge, je paie pour le fourrage, je mets dans la voiture l’avoine qui restait. Elle s’assied, tout enveloppée de son grand fichu, et nous voilà en route. Elle ne dit rien, je ne dis rien non plus. Mais, en approchant de la maison, la voilà qui me dit : — « Et ta mère, est-elle toujours en vie ? — Oui ! que je lui réponds. — Et ton père, est-il toujours en vie ? — Oui ! — Tarass, qu’elle me dit alors, pardonne-moi ! Je n’ai pas su moi-même ce que je faisais ! » — Et moi je lui réponds : — « Il n’y a pas de quoi parler, il y a longtemps que j’ai