Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol13.djvu/365

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d’une main, ils posent la plume, de l’autre ils saisissent un livre, et commencent à lire, sans même s’asseoir. Aussitôt qu’on leur prend le livre, ils prennent l’ardoise. La leur enlève-t-on, ils sont tout à fait déconcertés. Cet automne il y avait à l’école un ouvrier, en même temps il s’occupait des poêles ; en deux semaines il apprit à lire et à écrire, mais ce n’était pas de l’étude, c’était une sorte de maladie, une ivresse quelconque. Quand il traversait la classe avec le bois, il s’arrêtait, et, le bois à la main, se penchant sur la tête d’un gamin, il épelait : s, k, a, ska et allait à sa besogne. Quand il n’arrivait pas à faire cela, alors, avec envie, presque avec colère, il regardait les autres enfants. Était-il libre, on ne pouvait rien faire avec lui ; il s’accrochait à son livre en répétant : b, a, ba, r, i, ri, etc., et dans cet état il perdait la capacité de comprendre autre chose. Quand il arrivait aux adultes de chanter, de dessiner, d’écouter un récit d’histoire, ou de regarder une expérience, on voyait qu’il se soumettait à une cruelle nécessité et que, comme les affamés détachés de leur nourriture, il n’attendait que le moment de ressaisir son livre. Restant fidèle à la règle de ne pas forcer un enfant à apprendre l’alphabet par un moyen qui ne lui plaît pas, je ne pouvais forcer un adulte à apprendre la mécanique ou le dessin quand il désirait apprendre l’alphabet. Chacun prend ce qui lui convient. En général, les adultes qui ont étudié auparavant ne