Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/152

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certitude de l’infidélité de celle-ci, ce temps s’était effacé de sa mémoire ; certes la transition avait été pénible mais c’était chose faite. Si en lui déclarant son infidélité sa femme l’avait quitté, il eût évidemment été triste et malheureux ; cependant il eût évité de tomber dans la situation désespérée et incompréhensible où il se trouvait maintenant. Pouvait-il en effet concilier son récent pardon, son attendrissement, son affection pour sa femme malade et l’enfant d’un autre, avec les événements actuels ? Telle était donc la récompense de sa miséricordieuse bonté : il serait désormais seul, honteux, ridicule, inutile, méprisé !

Les deux premiers jours qui suivirent le départ de sa femme Alexis Alexandrovitch reçut les solliciteurs et son chef de cabinet, il se rendit aux séances du comité, dîna chez lui comme d’habitude, sans se rendre compte pourquoi il faisait tout cela. Pendant ces deux jours toutes les forces de son âme tendirent à un but : avoir l’air calme et même indifférent. Il fit des efforts surhumains pour répondre aux questions des domestiques relativement aux mesures à prendre pour l’appartement d’Anna et ses affaires, de l’air d’un homme préparé aux événements et qui n’y voit rien d’extraordinaire. Il atteignit son but : personne ne remarqua en lui le moindre signe de désespoir. Mais le lendemain du départ de sa femme, quand Korneï lui apporta la facture de la modiste qu’Anna avait