Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/26

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dont ils parlaient. Et cette idée le fit sourire : « La liberté ? Pourquoi la liberté ? Le bonheur pour moi, c’est de l’aimer, de vivre de ses pensées, de ses désirs à elle, sans aucune liberté. Voilà le bonheur ! »

« Mais puis-je connaître ses pensées, ses désirs, ses sentiments ? » lui murmura tout à coup une voix intérieure. Le sourire disparut de son visage et il devint pensif.

Soudain, un sentiment étrange l’envahit : la peur et le doute, toujours le doute !

« Et si elle ne m’aimait pas ? Et si elle m’épousait uniquement pour se marier ? si elle faisait cela sans même en avoir conscience ? » se demanda-t-il. « Elle peut reconnaître plus tard son erreur, et après le mariage seulement, comprendre qu’elle ne m’aimait pas et ne pouvait m’aimer ? » Et des pensées étranges, blessantes même pour elle, lui venaient en tête. Il se reprenait, comme un an auparavant, à éprouver pour Vronskï un vif sentiment de jalousie ; il se souvenait, comme d’un fait de la veille, de cette soirée où il les avait vus ensemble, et il la soupçonnait de ne lui pas avoir tout avoué.

Il se redressa brusquement.

« Non, je ne puis en rester là, se dit-il avec désespoir. J’irai chez elle, je lui parlerai une dernière fois… Nous sommes encore libres… Ne vaudrait-il pas mieux briser là ? Tout vaut mieux que le