Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/419

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pas faits les uns pour les autres et que le mieux était de se séparer. Anna seule était triste. Elle savait que Dolly partie, personne ne viendrait plus réveiller les sentiments qu’elle avait remués en son âme. Certes, il lui était pénible d’y toucher, mais elle savait que ces sentiments représentaient le meilleur d’elle-même que la vie qu’elle menait étoufferait bientôt complètement.

Lorsqu’elle se trouva en pleins champs, Dolly éprouva un sentiment agréable de soulagement. Elle voulait connaître les impressions des domestiques sur la maison de Vronskï et allait les interroger quand Philippe, le cocher, commença de lui-même.

— Ce sont des richards, et ils n’ont donné que trois mesures d’avoine. Les chevaux ont mangé jusqu’au dernier grain. Trois mesures ! Ce n’est rien ; à peine pour y goûter ! Aujourd’hui l’avoine vaut quarante-cinq kopeks. Chez nous, quand viennent des visiteurs, on en donne tant que les chevaux en veulent…

— C’est un maître avare, confirma le garçon de bureau.

— Et les chevaux, comment les trouves-tu ?

— Les chevaux sont beaux ; la nourriture aussi est bonne ; mais, je ne sais si cela vous a fait le même effet, Daria Alexandrovna, moi je me suis ennuyé, dit-il, tournant vers elle son beau visage franc.