d’un petit pont que traverse la route, à quelque distance de Coppet, et là, étendu dans le lit desséché d’un ruisseau, nous y attendîmes paisiblement l’heure du crépuscule.
Tel a été notre début dans la carrière des excursions pédestres ; rude, comme on le voit, et peu propre, ce semble, à nous inspirer l’envie de nous y engager plus avant. Toutefois, même au milieu de cette souffrance, nous avions ressenti quelques-unes de ces impressions dont le charme vif et nouveau tempère, pour s’y substituer bientôt, le souvenir des plus rudes fatigues : le premier jour, un déjeuner aussi brillant par l’appétit qu’ordinaire par sa rustique simplicité ; près d’Aubonne, l’émotion d’une reconnaissante amitié envers de compatissants camarades ; partout où l’on s’était arrêté, et jusque sous le tiède et poudreux ombrage de ce pont, l’aubaine d’un repos ardemment désiré, quelque chose de cette volupté instantanée qu’on éprouve au départ soudain d’un mal abominable, d’une rage de dents par exemple. Aussi, semblable au chasseur qui s’est aguerri et rendu plus habile par les labeurs et aussi par les écoles d’une première expédition, lorsque la même nécessité nous contraignit, l’année suivante, de reprendre, pour une tournée bien plus longue, la direction d’une nouvelle caravane, exempt alors de ces douloureuses lassitudes que l’on n’éprouve guère qu’une première fois, et appris déjà à discerner la trace du plaisir, de la jouissance, de la gaieté, de tous ces lièvres agiles qu’on ne poursuit qu’avec sueurs et qu’on n’attrape qu’en courant, nous sûmes guider sus nos piqueurs au travers des prairies, des bois, des landes stériles, des rochers nus, pour ne plus marcher désormais, pour ne plus reposer, pour ne plus franchir le seuil d’un hôtel, d’une taverne ou d’un chalet, que l’esprit joyeux, l’estomac vide et l’escarcelle pleine…
C’est de cette façon, et sans plus d’apprentissage, que nous sommes arrivé à nous éprendre pour les excursions pédestres, disons mieux, pour les fatigues et pour les privations, pour les dénûments et pour les contrariétés, pour les quotidiennes vicissitudes de soleil et de pluie, d’orage et de sérénité, d’heur et de malheur dont les excursions pédestres sont l’occasion, d’une passion que nous traiterions tout le premier de fol engouement, si, depuis tantôt vingt ans que nous les pratiquons, ces excursions n’avaient pas été les unes comme les autres, et pour chacun de nos nombreux compagnons tout autant que pour nous-même, une source de jouissances savourées au moment avec vivacité, avec ivresse, plus tard rappelées dans l’entretien avec un charme que le temps, au lieu de l’effacer, fortifie… ; si surtout, à mesure que l’âge nous approche du jour où