Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/22

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Le charme des voyages de Töpffer, c’est qu’il ne reste jamais longtemps sur ces hauteurs, et l’on jouit avec lui de tous les accidents du chemin. Un des endroits de son récit qui m’a laissé le plus frais souvenir, c’est son excursion aux Mayens, près de Sion. Les Mayens, on appelle ainsi sur la montagne les lieux où vont dès le mois de mai les nobles valaisans, les patriciens du pays aujourd’hui dépossédés de leur influence. Ces dignes gens ont là-haut des solitudes et de douces cabanes, ce qu’on appelle le Mayen de la famille ; ils se hâtent d’y monter dès qu’avril a fondu les neiges, et ils ne redescendent plus à Sion qu’à l’approche de l’hiver. Töpffer nous montre, chez ces familles fidèles au culte du passé, la vie paisible, régulière, patriarcale, l’oubli du siècle qui serait amer à trop regarder, et qui n’émancipe les uns qu’en froissant les autres. « Les Mayens sont à notre avis, dit-il, un Élysée dont la douceur enchante plutôt qu’une merveille à visiter » ; et c’est pour cela qu’il donne envie d’y monter et d’y vivre au moins une saison. Les hôtes qu’il y visite, en échange de ses croquis lui font voir les leurs : « Ce sont, remarque-t-il, des aquarelles faites d’après les sites uniformément aimables de ce paisible séjour. Le vert y domine, cru, brillant, étalé, mais les fraîcheurs de l’endroit s’y reconnaissent aussi, et aussi ces menus détails, ces neuves finesses qui échappent souvent au rapide regard de l’artiste exercé pour se laisser retracer par l’amateur inhabile, réduit qu’il en est à se faire scrupuleux par gaucherie et copiste par inexpérience. »

Personne ne fait mieux comprendre que Töpffer comment, sans avoir rien des procédés convenus et artificiels, on parvient à épeler, à bégayer, puis à parler, chacun selon sa mesure et avec son accent, la langue du pittoresque. Il faut s’y mettre avant tout, et, pour peu qu’on ait de sentiment naturel en face des objets, se suivre, y obéir, travailler à y donner jour. À force de croquis manqués, on arrivera à en produire un passable, puis un parlant,