la base et en retrouveraient les filons perdus, rien qu’en voulant complaire à des masses neuves, simples et impressionnables. C’est le dilettantisme qui tue la musique.
À Sesto Calende, on passe le Tessin sur une vieille barque où se tenait, il y a peu d’années encore, un chanteur aveugle. Au bruit cadencé de l’aviron, et pendant que le lourd navire rampe lentement des escarpements brûlés de la rive lombarde aux touffes verdoyantes de la rive piémontaise, cet homme frappait d’un grossier archet sur un violon à trois cordes, et entonnant d’une voix rauque de rustiques ballades, il avertissait ainsi le passager d’avoir à lui payer son obole. C’étaient des sons d’abord et durs et choquants pour des oreilles faites à de plus doux concerts ; mais c’était une musique bientôt, musique mâle, sévère, profondément mélancolique, et dont le charme, se mariant à celui du site, du ciel, du fleuve, après avoir pénétré jusque dans le cœur, finissait par le remplir tout entier. À des personnes qui avaient fait cette traversée, j’ai demandé depuis si elles avaient entendu l’aveugle, et, sur le nombre, deux, sans plus, réjouies déjà par cette question, qui leur indiquait qu’elles n’avaient pas été seules à le remarquer, m’ont confié que peu de fois dans leur vie elles s’étaient senties aussi atteintes, aussi remuées que par le chant de ce mendiant. Ce que je cite pour montrer que cette ânerie qu’il y a pour des gens comme il faut à goûter une musique pareille ne laisse pas que d’être une distinction, puisque encore n’est-elle pas commune.
Quoi qu’il en soit, à Viége il n’y a point d’épinette, et l’hôte est absent ; mais n’importe, un monsieur se présente, qui le remplace avec avantage peut-être ; c’est un pensionnaire de l’hôtel, gros petit bonhomme, instruit,