Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/337

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foule de montagnards endimanchés, d’enfants, de femmes parées de leurs beaux habits, des pauvres, des passants, une société de messieurs et de dames venus de Brigg est assise sur les bancs, éparse sur les tertres, échelonnée sur les rebords, dans les niches, et jusque sur l’extrême sommité du rocher. Et tandis qu’immobiles des deux côtés du tréteau des hommes revêtus d’antiques armures représentent la vieille Suisse et figurent des satellites de bon ordre et de décente gravité, Lucifer et ses diableteaux font des sorties : le premier, fier, dominateur, écumant d’ironie méchante et d’orgueil rebelle ; les seconds, agiles, pervers, insatiables de mal, diaboliques de joie infernale et de contorsions insensées. À leur approche, et pas du tout, comme on pourrait croire, par une sorte d’entente, mais bien à cause d’une crainte irraisonnée, hommes et femmes s’enfuient, reculent, se soustraient à l’attouchement de ces démons ; et lorsque ceux-ci se sont fait donner à boire aux petits vendages établis ci et là sous les arbres, le verre qu’ils lancent ensuite sur le gazon après l’avoir vidé n’est relevé que pour être mis à part. Mais ce qu’il convient de dire aussi, c’est que, en ce qui concerne ces trois personnages, rien de ce qu’on voit sur les théâtres des capitales ne donne une idée de l’effrayante vérité d’attitudes et de mouvements, de l’étrange énergie d’expression mimique