Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/372

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à qui mieux mieux un négus de première qualité. Les bons pères reconnaissent leur élève, et après l’avoir régalé, tous ensemble redescendent bientôt, eux, leur bréviaire sous le bras, lui, chargé de chair fraîche. C’est au glacier du Rhône que sont les abattoirs de la contrée, et libre à chacun de voir dans les victimes qui s’y immolent des sacrifices en l’honneur du dieu qui mugit à cent pas de là dans la grotte azurée.

Cependant notre tour vient de déjeuner, et, sans attendre quelques démoralisés qui en sont encore à gravir les pentes du défilé, nous nous mettons à table. Bientôt ils arrivent. Quelles figures, bon Dieu ! Simond Marc est mat de sueur, hâve de faim, diaphane de rongement ; la vue même de la table et des mets ne saurait lui arracher ni un cri de joie ni seulement un sourire. Il faut qu’auparavant il ait comblé ces creux formidables, fait taire ces aboiements féroces. Et il est sûr qu’à quinze, qu’à dix-sept ans la chose la plus sérieuse d’un voyage, ce ne sont pas dix-sept, quinze lieues de marche, ce sont trois heures de grimpée matinale faite à jeun sous les ardeurs d’un beau ciel. À quarante ans, ceci n’est plus qu’un jeu, ou plutôt qu’un agrément, car ces trois heures, qui portent la faim d’un adolescent jusqu’à être une souffrance, sont tout juste ce qu’il faut à un homme d’âge pour que le rassasiement de la veille, et ce dégoût de