Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/435

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Comme hier, en effet, la chaleur est étouffante, et, de plus, la route et ses abords ne sont qu’une lande pelée. Aussi, pressentant son écloppement prochain, et jaloux au moins de le goûter pur, entier, parfait, M. R*** abandonne à qui les veut ses tours de voiture ; autant en fait M. Töpffer, et voilà nos deux particuliers, livrés à leurs propres forces, qui s’acheminent comiquement vers une démoralisation volontaire. À mesure que la démoralisation augmente, l’hilarité se déclare, et les voilà descendus enfin à cet heureux état où le doux ébranlement d’un rire faible est la seule sensation qui survive à toutes les autres. Véritable ivresse, sorte d’affaissement intellectuel, durant lequel les hommes les plus graves ordinairement sont devenus puérilement facétieux, et se traînent chancelants et désopilés d’une halte à une autre. Mais, on le conçoit, comme toutes les ivresses, celle-ci, un peu honteuse d’elle-même, ne saurait s’étaler dans les villes et bourgades, en sorte que rien ne lui convient mieux pour théâtre que cette Maurienne déserte et pelée. Ce n’est guère qu’après le coucher du soleil que ces messieurs, ayant peu à peu recouvré leur dignité d’hommes graves, s’aperçoivent qu’ils sont encore à deux lieues de Modane, notre gîte de ce soir. Alors, doublant le pas, ils font une marche héroïque, et d’un saut ils viennent tomber auprès d’une table servie où l’on n’attend plus qu’eux. Souper brillant, tumultueux, primordial, et des rires à se rouler par terre. C’est que le crétinisé qui nous sert voulant rendre compte à M. Töpffer d’une mission rela-