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Pour nous, déjà remués par l’auguste magnificence de cette scène, nous nous voyons avec une charmante surprise entourés de palmiers qui balancent leur tête au-dessus des escarpements du rivage, et il nous semble que nous soyons transportés dans un autre hémisphère. Cet arbre ne croît qu’en ce seul endroit de la côte, et les habitants s’aident de leur mieux à l’y faire prospérer, parce qu’ils en vendent les feuilles aux juifs, qui en usent dans la célébration de la fête des tabernacles.

Nous traversons Vintimiglia, jolie petite ville, où l’on construit un fort considérable. Cette rencontre d’une citadelle, ou née, ou naissante, est toujours triste, et, au milieu d’un pays riant comme l’est celui-ci, elle forme un bien ingrat contraste. Odieuses meurtrières, lugubres embrasures, longues murailles, autant d’objets sinistres contre lesquels viennent se heurter et s’aplatir les plus charmantes impressions. Oui, la guerre, le massacre, de quelque part qu’ils viennent, sont toujours infâmes, tout ce qui en est le signe ou l’instrument est digne de haine, et le plaisir d’avoir des frontières, un nom sur la carte, un prince sur le trône, n’a jamais valu le sang qu’il a coûté. Avec cela, l’on conçoit que partout où a passé un torrent dévastateur, le torrent écoulé, il vienne à l’esprit des gens d’élever des digues et de barrer les passages. Tout en faisant ces réflexions, nous avons atteint la frontière d’un petit pays qui a bien un nom, mais à peine une place sur la carte. C’est la principauté de Monaco, le bijou de cette belle côte et de bien d’autres plus belles encore. Un joli petit carabinier qui garde la frontière nous prie d’exhiber et de payer, deux choses qui se supposent l’une l’autre, dans les principautés infusoires, tout comme dans les royaumes cétacés. Nous payons, et nous passons outre.

À un quart d’heure de là, nous avons en vue Mentone, la capitale du pays, au moins en étendue et en population. C’est bien la plus jolie, la plus vivante, la plus pittoresque capitale qui se puisse voir, sans compter l’admirable golfe qu’elle domine et le magnifique pays dont elle est entourée. Nous y faisons notre entrée, et tout à l’heure nous voici chez le second frère, qui aussitôt appelle, carillonne et dispose tout pour faire honneur à la signature de son aîné. Le déjeuner surpasse en effet tout ce qu’on a vu jusqu’ici, et, contre notre ordinaire, nous sortons de table n’ayant presque plus faim. Des pêches, des grenades, des raisins, des figues, des brioches, du salam, qui se vendent à vil prix dans toutes les échoppes, achèvent de nous rassasier.

Comme la chaleur est grande et que l’occasion s’en présente, M. Töpffer