humiliante, ignoble, intolérable. Payer passe encore, mais soi, honnête particulier, être livré aux crasseuses mains de la lie des douaniers ! être fouillé dans ses poches, palpé dans ses membres, traité comme un ballot de contrebande !… c’est bien plus révoltant encore que ne peut l’être la plus extravagante des extorsions. Encore une fois, jamais, je ne dis pas en Suisse, où de temps immémorial ces pratiques sont aussi inconnues qu’impossibles, mais jamais en Lombardie, jamais dans les États sardes que nous avons traversés vingt fois et dans tous les sens, rien de pareil ne nous est advenu ! Aussi, à peine sommes-nous hors de la portée de MM. les gendarmes, que nous entonnons en chœur une philippique à nous faire incarcérer tous pour dix ans, si le lieu était public et la police par là. Pour le cocher, il ne philippise pas ; mais jaune d’aigreur et suffocant de rancune : « Que monsieur ne m’eût pas démenti, murmure-t-il, et nous arrachions quinze francs à ces voleurs. Car enfin, si ça va de ce train, que lui rapporterai-je, à mon maître ? »
Ainsi allégés, nous nous acheminons sur Antibes, où l’on entre par une espèce de porte de Cornavin. Cette ressemblance inattendue avec quelque chose de Genève nous dispose en faveur de l’endroit. L’hôtel s’y bâtit, mais, sans attendre qu’il soit terminé, nous y déjeunons parmi les échelles et sous une pluie de plâtre frais. Déjà nous pouvons reconnaître que nous avons affaire à une population d’une qualité supérieure à tout ce que nous avons vu depuis notre sortie de Savoie. L’ordre, la propreté, l’esprit de travail et de famille recommencent à se montrer ; la probité chez les hôtes n’est plus une exception ; les bienfaits d’une liberté et d’une instruction plus grandes se manifestent par des traits intéressants. Du reste, ici comme à Oneglia, nous tombons sur une série récurrente d’aubergistes apparentés ; seulement, au lieu de frères, ce sont des sœurs. La sœur d’Antibes nous donne un bon pour la sœur de Grasse, et munis de cette pièce, nous nous remettons en route en tournant le dos à la mer et la face à la Suisse. Rien que cette évolution fait surgir dans nos esprits l’impression du retour.
À partir d’Antibes, le pays va s’élevant de plus en plus. Il est beau, riant, fertile, solitaire. Toutefois, voici des gens qui font la vendange : « Hé ! dites donc, voulez-vous nous vendre du raisin ? » Un bonhomme qui voit bien que nous n’aspirons qu’à nous régaler, repart aussitôt : « Non, messieurs, ici le raisin se donne et ne se vend pas. » Belle réponse, et qui vaut, ma foi, celle de Cambronne. L’on nous charge de grappes magnifiques et nous continuons de monter.