Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/541

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vieille fée qui habile un mauvais donjon livré aux poules et aux pourceaux. Et encore voudrions-nous partager avec eux, que mademoiselle Marie refuse de nous recevoir. « Poussez, nous dit-elle, jusqu’au logis du Pin, vous aurez là tout ce que vous voudrez. »

Mademoiselle Marie habite presque seule cette haute vallée dont l’aspect est, sinon pittoresque, du moins poétique. Au moment où nous passons, l’on n’aperçoit dans toute l’oasis qu’un gardeur de moutons, affublé d’une peau de bête, qui longe un ruisseau en chassant devant lui son troupeau ; à gauche, des rocs nus, déjà enveloppés dans l’ombre du soir, ferment la vallée ; de l’autre, le soleil dore une petite chapelle sise au pied de deux noyers, et sur les hauteurs on aperçoit les ruines d’une espèce de ville dépeuplée. Tout cet ensemble forme un tableau tranquille et mélancolique qui ne demanderait qu’un poëte pour devenir sujet d’églogue, matière d’idylle.

Dans cette contrée sauvage, très-peu de gens entendent le français, en sorte qu’il faut nous mettre nous-mêmes au provençal, que nous réduisons à un cliquetis de z et d’s artistement amalgamés. M. Töpffer fait dans cet idiome nouveau des progrès effrayants. — Donazis miz paniz, dit-il aux gens ; et ils ne manquent pas de lui apporter du pain. Alors l’aplomb lui vient avec le succès, et il en est déjà à trouver que ceux qui ne l’entendent pas du premier coup sont des rustres, qui de leur propre langue n’ont encore saisi ni le génie pittoresque ni l’accentuation musicale.