Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/100

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Et puis, le dirai-je ? j’étais déjà gâté par la société que je voyais à ma fenêtre : le rang, la richesse, la grâce et le bon goût des manières, de la mise, toutes ces choses avaient pris pour moi un irrésistible attrait. À voir ces personnes, j’avais perdu toute sympathie pour ce qui est commun, pour ce qui est vulgaire, pour ma classe et mes semblables ; et si, à la vérité, sous quelque habit que ce fût, une jeune fille m’eût vivement ému, sous l’aspect de celle-ci elle devait m’enflammer, me passionner sans mesure.

C’est ce qui ne manqua pas d’arriver, en sorte que je me trouvai subitement épris de cette jeune Antigone. Du reste, ma passion était d’une qualité si pure, si distinguée, que je ne songeai seulement pas à me demander si ce n’était point là une de ces Calypso dont M. Ratin m’avait tant parlé.

Et ceux qui croient qu’un amour d’écolier, pour être sans espoir et sans but, n’est pas vif et dévoué, ceux-là se trompent.




Ce sont des gens qui n’ont jamais été écoliers ; ou bien ce furent des écoliers bien forts sur la particule et le que retranché ; des écoliers admirables de mémoire, sages d’esprit, tempérés de cœur, rangés d’intelligence, bridés d’imagination, et toutes les années couronnés par trois fois ; des écoliers modèles, des modèles selon M. Ratin, des monsieur Ratin en espérance.

Ils sont à présent des ministres, des avocats, des épiciers, des poëtes, des instituteurs, des marchands de tabac ; et, où qu’ils soient, au tabac ou dans la chaire, à la banque ou sur le Parnasse, ils sont toujours des ministres modèles, des épiciers modèles, des poëtes