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choir son chapeau dans la rivière. L’idée de cette première impression que j’avais dû lui produire m’était singulièrement amère.

Mais que pensez-vous qu’elle eût sous son bras ? Un in-octavo couvert de parchemin, fermé de clous d’argent, misérable bouquin que cent fois j’avais vu traîner dans la chambre de mon oncle, et qui alors, doucement pressé sous son bras, me semblait le livre des livres… Je compris pour la première fois qu’un bouquin peut être bon à quelque chose. Sage, mon oncle Tom, d’en avoir amassé toute sa vie ! Imbécile, moi, de n’avoir pas eu en ma possession ce fameux livre, dont le titre même m’était inconnu.




Elle traversa la rue, se dirigeant vers l’entrée de l’Hôpital, où elle dit quelques mots au portier, qui me parut la connaître, et ne lui accorder que juste ce qu’il fallait de protection pour qu’elle pût passer. Bien qu’indigné contre le brutal, cela me fit plaisir, en me prouvant que la fille de mes pensées n’était pas d’une condition assez riche ou élevée pour rendre ridicules à mes propres yeux les vœux qui commençaient à germer dans mon cœur.

J’éprouvai un grand plaisir à la savoir si près de moi, car j’avais craint de la perdre jusqu’au lendemain. Je brûlais d’apprendre ce qui l’avait amenée chez mon oncle, et ce qui pouvait l’attirer dans ce lieu. Mais pour le moment, enchaîné par le désir de la voir sortir, je me résignai à attendre jusqu’à ce que, la nuit étant, venue, je perdis l’espoir de la revoir ce jour-là, et je montai en toute hâte chez mon oncle Tom.