Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/146

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Je m’arrêtai soulagé. J’avais versé dans ces mots une partie des sentiments qui inondaient mon âme ; et, au feu dont j’accompagnais mes discours, je croyais voir la jeune fille rougir, s’émouvoir, et mes paroles arriver jusqu’à son cœur. Alors, portant la main sur le mien : — Ah ! non, ajoutai-je, par pitié pour un malheureux, ne me repoussez pas, vous me repousseriez dans l’abîme ! La vie pour moi, c’est où vous êtes !… Hé !… Le diable l’emporte ! Oh ! mon oncle ! mon oncle !




Tout était perdu, perdu sans ressource, et je fus sur le point d’en verser des larmes amères. La passion m’avait ennobli à mes propres yeux ; pour quelques instants cette défiance de moi-même, ce dégoût, ces craintes qui toujours venaient empoisonner mes espérances, avaient disparu ; je me trouvais comme posé d’égal à égal devant ma divinité, et, en achevant ces mots, je portais ma main sur mon cœur, que je sentais brûlant jusqu’à la peau, lorsque… Non ! j’eusse mis la main avec moins de dégoût sur une froide couleuvre, sur un humide crapaud… J’arrachai le monstre, et je le jetai loin de moi.




En cet instant entra mon oncle Tom, calme comme le Temps, une fiole à la main et son livre sous le bras.

— Maudits soient, lui dis-je avec emportement, votre Hippocrate, vos bouquins, et tous ceux qui… Qu’avez-vous fait ? Dites, mon oncle, qu’avez-vous fait ?… Deux fois troubler les plus doux instants de ma vie ! Qu’est-ce encore ? Venez-vous m’empoisonner ?

Durant cette apostrophe, mon oncle Tom, bien loin