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lieux où, sous les rochers du mont Salève, l’Arve serpente au travers d’une vallée verdoyante, embrassant de ses flots des îles désertes, et mirant dans son onde le doux éclat du couchant. Du lieu où nous nous reposions, on voyait une vieille barque porter sur l’autre rive quelques rustiques passagers ; ou bien, dans le lointain, une longue file de vaches passaient à gué des îles sur la terre ferme. Le pâtre suivait, monté sur une vieille cavale, avec deux marmots en croupe ; insensiblement les mugissements plus lointains arrivaient à peine à notre oreille, et la longue file se perdait dans les bleuâtres ombres du crépuscule.

Ces spectacles me ravissaient. Je quittais ces lieux le cœur ému, l’âme remplie d’enchantement, pressé déjà d’un secret désir d’imiter, de reproduire quelques traits de ces merveilles. Au retour, j’y employais ma soirée ; et, par une illusion charmante et toujours prête à renaître, parant mes plus informes croquis de tout l’éclat des couleurs dont mon imagination était pleine, je tressaillis de la plus innocente, mais de la plus vive joie.




Quoiqu’il écrivît sur la glyptique, et qu’il sût par cœur les ouvrages de Phidias et les trois manières de Raphaël, mon bon oncle s’entendait peu aux arts du dessein et de la peinture. Il vantait les beaux temps de la renaissance ; mais son penchant était pour les médaillons de le Prince et les pastorales de Boucher, dont il avait orné sa bibliothèque.

Toutefois, près du lit, dans un cadre vermoulu, il y avait un tableau que nous affectionnions, mon oncle et moi, plus que tous les autres, mais par des causes bien