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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/191

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dans une grande bergère, il vivait auprès de sa fenêtre, d’où il contemplait piteusement la rue, voyant à toutes choses la décadence de l’État et la ruine des mœurs : aux maisons reblanchies, aux murs recrépis, aux chapeaux ronds, à la rareté des cadenettes, et surtout à la jeunesse des jeunes gens :


Cuncta terrarum mutata
Præter atrocem animum Catonis,


disait le régent. L’hiver, enfermant ses deux maigres jambes dans des bottes de carton, il vivait au coin de son feu, ne le quittant plus que pour venir tous les mois à sa porte, en bottes de carton toujours, assister quelques mendiants ses contemporains, vieux débris dans lesquels il reconnaissait encore les vestiges du bon temps, les restes vermoulus de cette ancienne république si changée, si déchue.

Au-dessus de ce vieillard morose, vivait très-retirée une famille nombreuse, dont le chef était un géomètre employé au cadastre. Cet homme, à sa planchette tout le jour, passait une partie des nuits sur ses feuilles. Il avait, je m’en souviens, l’orgueil de la gêne laborieuse et indépendante ; et si, de loin en loin, il se permettait en famille une partie de plaisir, il en savourait la jouissance d’un air grave et fier qui m’imposait à moi, jeune homme, un respect mêlé d’admiration.


Dos est magna parentium
Virtus…


disait avec gravité le régent lui-même.

Avant d’arriver à la mansarde, on passait encore devant la demeure d’un joueur de basse. Celui-ci donnait leçon tout le jour, se réservant la nuit pour composer des thèmes sur son instrument :