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bouche de Lucy, j’appris qu’elle était mariée, des lueurs de trouble et de jalouse peine avaient traversé mon cœur.




Mais ce fut un souffle passager ; avant même de quitter la voiture mon cœur s’était donné à ce monsieur, et je ne voyais plus dans Lucy que son épouse tout aimable, qu’il me permettait de chérir.

Les jours suivants, je vécus de ce souvenir et de l’espoir de revoir bientôt Lucy. J’avais fait quelques copies, entre autres celle de la madone, deux ou trois portraits, puis quelques compositions, la plupart d’une exécution plus que médiocre, mais ne manquant pas de certains indices de talent. Comme l’on peut croire, le bourgeon m’aida avec la plus active complaisance à les disposer à leur avantage, et tout était prêt pour recevoir Lucy, lorsqu’elle arriva en effet. Son mari l’accompagnait.

Encore aujourd’hui, je ne puis songer à cette jeune dame que ce souvenir ne remue mon cœur. Que ne puis-je peindre sous des traits assez aimables cette bonté si vraie, dont son rang, son éclat, son opulence rehaussaient encore le charme ; cette simplicité de sentiments, que n’avaient pu fausser ou contraindre les manières ni les préjugés du grand monde ! Bien qu’une expression de mélancolie lui fût habituelle, le souffle d’un bienveillant sourire réchauffait ses moindres paroles, lorsque déjà la caresse de son regard prêtait à son silence même un attrait pénétrant. Dès qu’elle fut entrée dans ma modeste mansarde, ses premiers mots furent pour m’adresser d’encourageantes félicitations. Elle regardait mes ouvrages avec un intérêt particulier,