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quait-elle qu’elle s’occupât de moi comme je m’occupais d’elle ?

Voilà cent questions, et une foule d’autres, qui me donnaient infiniment à songer, à méditer. Aussi, après mes copies, je n’entrepris plus rien. Mes toiles restèrent oisives, mes pinceaux gisaient épars ; nulle chose n’avait de saveur auprès du sentiment qui alimentait mes journées.




Et ce n’était plus, comme jadis, ces rêveries dont je m’avouais à moi-même le vide et la folie. Cette fois, au contraire, l’idée de mariage s’offrit des premières à ma pensée ; et, dès qu’elle y fut entrée, elle n’en sortit plus.

Heureux âge que celui où j’étais encore ! derniers beaux jours, que doit clore bientôt la saison de l’expérience et de la maturité ! Avant d’avoir encore échangé un mot avec cette jeune fille, je me proposais de l’épouser. Avant d’avoir jamais réfléchi sur cet état austère que les poëtes nous peignent comme le tombeau de l’amour, et les moralistes comme un joug sacré, mais tout pesant de chaînes, je m’y acheminais comme vers une rive toute de fleurs et de parfums. Avant de m’être enquis comment ou de quoi vit un ménage, ou s’élève une famille, déjà, et surtout, je m’occupais de combiner certaines dispositions dont la possibilité facile prêtait à mes désirs tout l’attrait d’une réalité prochaine.

En effet, tout se réduisait à percer une porte dans la cloison… Alors la mansarde de Henriette devenait notre chambre nuptiale, la mienne notre atelier de travail où, elle à ses feuilles, moi à mes toiles, nous coulions des jours filés de paix, de bonheur et d’amour.