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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/209

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Malheureusement Henriette ne dépendait pas uniquement de sa mère ; et, par un trait singulier, mais naturel pourtant, ce caractère de fierté et d’indépendance, qui distinguait les membres de cette famille, s’alliait, dans chacun d’eux, à une libre mais entière soumission à la volonté du chef qui en était l’âme. Le géomètre, homme ferme, austère, laborieux, s’il n’était ni affable dans ses manières, ni courtois dans ses formes, exerçait d’ailleurs sur tous les siens l’empire puissant et respecté de l’exemple, du dévouement, de l’irréprochable vertu. Sa femme l’aimait avec vénération ; et Henriette, à mesure qu’un jugement plus formé lui permettait de comparer son père avec les autres hommes, s’accoutumait à le placer plus haut dans son estime que la plupart d’entre eux : en telle sorte que sa filiale piété, profonde plus encore que tendre, respectueuse plus qu’expansive, avait voué à l’auteur de ses jours une obéissance sans réserve. Ni son cœur ni sa personne ne pouvaient appartenir qu’au préféré d’un père si digne à ses yeux de guider son choix.

J’ai reconnu depuis, et souvent avec ce mouvement d’admiration qui va jusqu’à mouiller l’œil de chaudes larmes, combien était intéressante et vénérable cette humble famille, combien était vraiment grand cet homme obscur ; mais pour lors cette austérité, cette soumission, ces vertus, me semblaient autant d’obstacles à mes vœux. Que m’importait, en effet, que les femmes fussent soumises, si d’autre part je ne savais comment aborder leur maître et seigneur ? Que m’importait que le géomètre fût austère, ferme, laborieux, si ces qualités, qu’assurément il voudrait retrouver dans son gendre, étaient justement celles qui me manquaient ? Restait à lui faire goûter celles que je pouvais avoir en