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sensiblement de la partie, et Henriette ne monta plus seule à sa mansarde.

Mais l’amour est si ingénieux ! À l’heure des repas, Henriette descendait et remontait sans être accompagnée ; je m’arrangeai de manière à faire le voyage avec elle. La chose réussit à merveille. Il ne restait plus qu’à me déclarer, lorsque la famille changea brusquement l’heure de ses repas ; et je dus, le soir comme à midi, descendre et remonter seul.

Restait un dernier moyen, hardi à la vérité, mais infaillible : c’était de m’introduire chez Henriette sous quelque prétexte, et là, de donner un libre essor à mes sentiments. Je me mis en chemin bien des fois, et ici encore il ne me restait plus qu’à ne pas rebrousser à chacune, lorsque la mère de Henriette prit peu à peu l’habitude de venir travailler auprès d’elle.




Je dois aux leçons de M. Ratin et à ses pudibondes harangues de n’avoir jamais osé adresser à une femme le moindre propos tendre, durant tout le cours d’une jeunesse où je ne fis d’ailleurs guère autre chose qu’aimer. Cette sotte timidité est un bien dont je reconnais aujourd’hui le prix. Par elle le jeune homme retient et porte jusqu’aux jours de l’hyménée cette pudeur native qui, une fois perdue, ne se recouvre plus ; par elle son cœur demeure jeune, sincère ; il se remplit de mille sentiments vifs et tendres, dont elle comprime l’essor, mais pour lui en faire apporter le pur et riche hommage à celle qui sera la compagne de sa vie.

Mais alors j’en jugeais autrement. Je m’indignais contre moi-même ; et, réfléchissant combien de fois déjà cette incurable timidité avait enchaîné ma langue,