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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/240

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si grave ; et comme j’ai une horrible peur de mourir, toutes mes idées se sont portées du côté d’un mal intérieur qui me mine et qu’on me cache. À force d’étudier les symptômes, de tâter mon pouls, d’examiner mes sensations internes et externes, d’approfondir la nature particulière de mes migraines, et leur coïncidence avec une accélération notable dans mes bâillements, j’en suis venu à acquérir une certitude… une certitude que je garde pour moi, dans la crainte que, si je la confiais à mon médecin, il n’allât la partager, ce qui me tuerait de la frayeur de mourir.

Cette certitude, c’est que j’ai un polype au cœur ! Un polype, j’avoue que je ne sais pas bien comment c’est fait, et je ne cherche pas non plus à le savoir, de peur de faire d’affreuses découvertes ; mais j’ai un polype au cœur, je n’en doute plus. Aussi bien ce polype explique tout ce qui se passe dans mon individu : il donne à mes bâillements une cause, à mon ennui un principe. J’ai donc modifié mon régime, réformé ma table. Point de vin, des viandes blanches. Le café proscrit ; il excite aux palpitations. Des mauves le matin, c’est souverain pour les polypes au cœur. Point d’acides, rien de fort ni de pesant : ces choses agissent sur la digestion, qui réagit sur le système nerveux ; aussitôt la circulation est gênée, et voilà mon polype qui grossit, s’étend, végète… Au fond, c’est vrai, je me le figure comme un gros champignon.

Je passe donc des heures à songer à mon champignon. Quand on me parle, j’ai mon champignon qui m’empêche d’écouter ; quand j’ai dansé un galop, je me reproche cet excès, comme fâcheux pour mon champignon ; je rentre de bonne heure, je change de linge, je me fais donner un bouillon sans sel, à cause de mon