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trouve bien bon de soupirer là tout seul. Si belle que soit une fleur à cueillir, si tous l’ont dédaignée, pourquoi la voudrais-je, moi surtout qui me pique d’un goût délicat et distingué ?

Il y a quelque temps, quand j’arrivai au bal, elle dansait avec un bel officier. Gracieuse, riante, animée, elle ne parut seulement pas s’apercevoir que j’entrais. Voilà mon ardeur qui se rallume, mon cœur qui s’embrase ; j’étais à deux doigts de l’hyménée. — Vite je vais l’engager pour la première russe. — Avec plaisir, monsieur. — Pour la seconde contredanse ? — Avec plaisir. — Pour la troisième valse ? — Avec plaisir. — Le cinquième galop ? — Avec plaisir, toujours avec plaisir ; plus un seul qui me la dispute. Mon ardeur décroissait à tel point, que je me mis à manger des petits gâteaux toute la soirée.

C’est depuis ce jour que j’ai porté mes hommages à une autre demoiselle, pour qui j’avais d’abord peu de goût, uniquement parce que tout le monde s’entendait pour me la conseiller, mon parrain surtout. C’était mademoiselle S***, la cousine de madame de Luze ; cela veut dire qu’elle tient à la première famille et aux salons les plus distingués de la ville. Elle est grande, d’un beau port, recherchée des cavaliers autant à cause de son esprit qu’à cause de sa beauté, et plus riche de beaucoup que les deux premières. Aussi suis-je certain que je serais déjà marié avec elle, si ce n’était mon parrain.

Lundi passé, j’arrivai tard au bal. Il y avait foule autour d’elle. Je dus me contenter d’un engagement pour la sixième contredanse, et de la faveur d’un tour de russe partagé entre trois cavaliers. Ces obstacles excitant ma passion, l’amour le plus vif, l’ardeur la plus