Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/265

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l’incendie, ni à l’heure avancée. Seulement la vue d’un passant me faisait battre le cœur ; dans chacun je m’attendais à voir, je croyais reconnaître la mère de ma protégée, et j’entourais déjà de respect et d’amour cet être inconnu qui avait donné le jour à mon amie. Mon amie ! ainsi la nommais-je déjà dans mon cœur, dans ce secret sanctuaire où nulle entrave ne gêne la tendresse du langage, où l’amour seul dicte les mots, et prête à chacun sa douceur, ses charmes et son prestige.

Après avoir ainsi erré pendant longtemps, je me trouvai dans le voisinage du faubourg. Alors seulement je vins à songer à l’incendie, et les événements de la soirée se retracèrent à mon esprit, mais comme des impressions presque effacées, au milieu desquelles je retrouvai sans cesse l’image de la jeune fille, ses mains blanches sur les seaux, son beau regard réfléchissant l’éclat des flammes. Reprenant un à un mes souvenirs, je l’accompagnais de nouveau, je la couvrais de mon manteau, je saisissais sa main dans l’obscurité ; mais surtout je sentais avec émotion sur mes bras l’empreinte de son jeune corps, et je retrouvais avec délices ce moment où, chargé de ce doux faix, je l’avais transportée sur son lit, dans la solitude de sa demeure. Pendant que ces pensées me ravissaient, je passais presque sans curiosité devant les lieux que naguère dévorait la flamme. L’incendie, maîtrisé à la fin par les efforts de la foule, exhalait en tourbillons d’une noire fumée ses dernières fureurs. Des solives charbonnées, des monceaux de ruines et de décombres gisaient entassés sur ce vaste espace, occupé quelques heures auparavant par des maisons populeuses, par des familles paisibles, maintenant errantes et désolées. Autour veillaient quelques hommes du guet, et une pompe promenait son jet