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image et dépouillé ses attraits de quelque prestige. Je craignais de la retrouver bien portante, enhardie par l’appui de sa mère, occupée peut-être à quelque soin de ménage. Je considérais qu’une foule de circonstances fortuites, qui ne pouvaient plus se reproduire, avaient contribué à lui donner pour quelques moments à mes yeux un charme accidentel pour lequel je m’étais passionné, comme s’il eût pu être durable. Enfin, réfléchissant à certaines idées romanesques tendant au mariage, qui m’avaient paru peu naturelles peu d’heures auparavant, je ne pouvais m’empêcher de les trouver parfaitement extravagantes, et cela au grand détriment de ma passion naissante, qui perdait ainsi l’avantage d’un dénoûment possible.

C’est ainsi que je redevenais peu à peu l’homme de la veille. Cette flamme passagère qui avait un instant brillé dans mon cœur pâlissait par degrés, et déjà l’ennui, plus pâle encore, renaissait à côté. Toutefois, et c’est ainsi que tout se fane à l’expérience, je ne pouvais redevenir exactement le même. Chaque émotion, une fois éprouvée, laisse son vide dans le cœur, et n’y peut plus renaître. À une seconde aventure pareille, je n’eusse plus retrouvé la même pureté d’impressions, ce charme vif de ce qui est nouveau, inopiné ; et le sentiment d’avoir prodigué sans fruit quelques-uns de ces précieux trésors m’était trop peu étranger pour que je ne trouvasse pas quelque lie au fond de cette coupe à laquelle je venais de m’enivrer.

Tel est l’état où je me trouvai au bout d’une ou deux heures d’ennuyeux loisir. Tout m’était redevenu indifférent : j’avais oublié mon polype ; mes habitudes mêmes, qui d’ordinaire me servaient à combler le vide des journées, avaient perdu leur empire, et je restais