Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/289

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monsieur, j’aime cette jeune fille… mais ce que vous ignorez, ce que mon parrain n’a eu garde de vous apprendre, c’est qu’à cause d’elle je l’ai mécontenté ; à cause d’elle j’ai secoué son joug, j’ai refusé son héritage, et quelque chose de plus flatteur encore, monsieur, la main de votre parente, l’alliance de votre famille… En agissant ainsi, je n’avais point encore arrêté mes vues sur votre jeune protégée ; mais, aujourd’hui qu’elle est compromise, aujourd’hui que les propos envenimés des uns, les discours officieux des autres, sont parvenus à la flétrir, je demande sa main, je la désire, je la veux !… et c’était, avant votre venue, le seul projet de mon cœur. Vous aurai-je pour appui dans le désir que je forme ? continuai-je d’un ton moins emporté ; voudrez-vous être le porteur de ma demande ? c’est ce que j’ose espérer de vous, monsieur, si, convaincu de ma droiture, vous me rendez enfin justice.....

Alors il me tendit la main, non sans quelque attendrissement. Depuis longtemps, dit-il, je vous rends justice, mon jeune ami ; mon estime est à vous, entière, sincère, et mon cœur s’émeut à ces vertueux transports qui, peut-être, vous emportent trop loin… Je n’ai point mission de plaider pour ma parente, et plutôt encore plaiderais-je en mon nom qu’au sien, tant vous répondez à l’opinion honorable que j’avais conçue de votre caractère ; mais c’est le sort de votre vie que vous décidez ainsi en un instant… Vous rejetez mille avantages… vous répudiez une personne aimable et digne de vous… vous vous aliénez un parent… vous perdez une fortune qu’il vous destinait… et que trouverez-vous en revanche ? La vertu, sans doute, les grâces du corps et celles de l’esprit ; mais une personne obscure et sans fortune, une enfant délaissée du monde que vous voyez,