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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/382

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dez autour de vous. Combien de visages durs, sombres, laids, d’où s’échappent pourtant comme des rayons de bonté sereine, de délicate affection ! Combien de fragiles statures renferment des âmes de fer ! combien de colossales charpentes, toutes d’os et de muscles, recouvrent des âmes molles et sans vigueur ! Et, sans regarder à autrui, qui ne sent vivre au dedans de soi cet hôte étranger au logis qu’il habite, ce noble exilé qu’étouffent les murailles de son étroite prison ? qui ne le sent s’attrister ou jouir de sa tristesse et de sa joie propres ? qui ne le sent s’agiter, bondir, frémir d’enthousiasme ou d’allégresse, alors même que le corps semble sommeiller, et sommeiller alors même que le corps se démène au sein de ses plus chères délices ?

Quand paraît sur la scène la douce et pure Desdemona, quand Othello échange avec elle les transports d’une confiante tendresse, quand ce serpent d’Iago rampe autour de ces deux créatures si heureuses, si sereines à cette heure encore… quand déjà le venin, circulant dans les veines du More, enflamme son sang, fait jaillir l’éclair de sa prunelle et pénétrer dans son cœur le démon des vengeances… voyez, dans l’amphithéâtre, ces milliers de figures assises à la file les unes des autres, silencieuses, et comme privées de vie : ce sont les enveloppes corporelles, les cadavres terrestres… Pendant qu’étrangers au drame qui se déroule, ils chargent les gradins de leur masse immobile, les âmes s’en sont envolées : ardentes, agitées, tumultueuses, frémissantes d’horreur ou saignantes de pitié, elles errent en désordre sur la scène ; elles s’épanchent en flots de malédictions sur Iago ; elles crient au More qu’on l’abuse ; elles entourent, elles enveloppent, elles protègent de tout ce qu’elles ont de compassion et d’a-