Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/384

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de ce côté la foule (car il lui fallait la foule), et je commence :

« Juges ! disait-il avec solennité du haut de son tertre, pendant que, nonchalamment étendu sur le gazon, je me laissais débonnairement défendre ; juges, à la vue de cet infortuné qu’une sanglante catastrophe a amené sur ce banc d’ignominie, je suis navré de douleur et tremblant de crainte… Sa cause est belle pourtant ! mais je me méfie de mes forces, et en songeant que le sort, que la vie peut-être de mon client, dépendra de l’usage que je vais faire de cette parole qui m’est laissée pour quelques instants, je ne puis me défendre d’un trouble involontaire…

— Le soleil me grille, interrompis-je en me levant pour changer de place.

— Ne bouge, ami ! ou je ne te défends pas… s’écria l’avocat avec un emportement très-sérieux.

« Je vais raconter les faits. Loin de moi toute réticence, tout subterfuge ; car c’est dans l’exposé fidèle de la vérité que je vois la force de ma cause. Écoutez-moi donc, jurés ; j’appelle à mon aide votre attention, vos lumières, vos consciences ; et, certain que cette même conviction où je puise à cette heure mon courage va bientôt passer dans vos âmes, j’attends avec confiance votre sentence suprême.

« Louis Desprez, mon client (c’est mon propre nom qui figurait ainsi au procès), s’est marié, il y a douze ans, avec Éléonore Kersaint, la fille d’un avocat dont la voix a souvent retenti dans cette enceinte. Les premières années de cette union furent heureuses, et cinq enfants… »

Ici le plaidoyer fut interrompu par de grands éclats de rire : c’étaient des camarades qui, se promenant