Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/418

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que, captivée de plus en plus par l’intérêt du récit, elle montra une sorte de surprise, à laquelle succédait insensiblement en elle l’enchanteresse émotion d’une âme neuve qui s’ouvre à la poésie. Son visage brillait de plaisir. Toutefois, à ces pages de plus en plus sombres, où se déroulent les souffrances amères du lépreux, ses yeux se mouillèrent de larmes ; et, quand j’approchai du moment où la sœur de cet infortuné va lui être retirée, sa compassion se trahit par des pleurs..... elle me pria de ne pas poursuivre. Alors je fermai le livre, et, en le lui offrant pour qu’elle pût achever plus tard cette lecture, je la priai de conserver ce petit volume en souvenir de moi. Elle me le promit avec effusion, mais en rougissant. En effet, nous venions de sentir ensemble, de nous émouvoir ensemble, nos cœurs s’étaient secrètement approchés l’un de l’autre, en sorte que la bienveillance ingénue de la veille venait de faire place, chez cette jeune fille, aux troubles pudiques du sentiment.

Nous retournâmes à l’hôtel. Les deux messieurs, tout entiers à leurs affaires, s’occupaient de les terminer afin de repartir. À peine s’aperçurent-ils que leur jeune demoiselle était bien changée. Pour moi, j’avais si bien la conscience du mal que je venais de lui faire imprudemment en troublant le calme de son cœur, et en l’ouvrant à la poésie tout juste au moment où elle allait contracter le plus saint, mais le plus prosaïque des engagements, que j’en éprouvais une sorte de compatissant chagrin. Ce mal, je ne pouvais déjà plus le guérir, mais je pouvais l’accroître peut-être en continuant de cheminer dans la société de cette jeune personne, comme j’y étais porté par un désir pressant et presque coupable déjà en raison même de sa vivacité.