tais se trouva transformé en un tendre souvenir. Je visitai Gênes, Florence, Rome, Naples ; et, quand il fallut songer au retour, je choisis pour traverser les Alpes le passage du Simplon, tout autant parce que mon cœur, redevenu libre, ne me pressait plus de repasser par Ivrée, que parce que j’aurais redouté, en y passant, de voir s’y flétrir un souvenir si tendre, si pur et si rempli de fraîcheur.
Arrivé à Genève l’automne dernier, j’allai, selon mon usage, faire visite à ma tante Sara. Plus haut, j’ai parlé d’elle à propos du duel de mon cousin. Ma tante Sara habite la campagne : c’est, aux portes de la ville, un jardinet séparé par des murailles des jardinets voisins. Ce jardinet offre l’agrément d’une balançoire ; une pompe, dont l’eau ne tarit que dans les temps de sécheresse, y fournit aux arrosements ; et à l’angle nord-est mon cousin Ernest a fait élever une jolie montagne, sur laquelle il a construit et peint en vert un pavillon chinois d’où la vue plane sur la maison de l’octroi et sur les fortifications de la ville.
Ma tante Sara est une excellente dame, maintenant âgée, qui n’a éprouvé durant sa vie qu’un seul malheur, celui de perdre son époux, il y a quarante ans, après trois mois d’un bonheur sans mélange, comme elle dit elle-même naïvement. Six mois après cette catastrophe, elle accoucha d’un fils posthume sur lequel se concentrèrent dès lors toutes ses affections : ce fils, c’est mon cousin Ernest, qu’elle a élevé comme une mère tendre, qui fut institutrice dans sa jeunesse, élève un fils unique, et, de plus, posthume. Dès le bas âge, des méthodes d’ordre, des habitudes de bienséance, des leçons de maintien ; plus tard, pour former le cœur, des sentences, des quatrains, la morale en exemples, le