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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/425

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mon cousin. — Non. » Pour moi, bien que je fusse à mille lieues de me douter encore que cette plante étiolée était ma fraîche compagne d’Aoste, et ce bloc l’aubergiste de Chambéry, je m’intéressais vivement à une lecture qui, sans altérer le moins du monde la quiétude de mon bon cousin, ébranlait à ce point la sentimentalité de ces dames, et provoquait de leur part des remarques non moins délicieuses que le style qui en était l’objet.

« Lorsque je les rencontrai, poursuivit ma tante en continuant sa lecture, ils cheminaient du côté des plaines de l’Italie, dans le fol espoir que les haleines les plus douces d’un climat embaumé arrêteraient les ravages de cette destinée déçue. Mais moi, de qui l’âme comprenait cette âme, je voyais la vierge s’acheminant comme par une allée de cyprès vers sa fosse déjà creusée, et le poids d’une immense douleur pesait sur mon âme affaissée. Auprès d’elle, son blond fiancé promenait à la lumière des cieux l’ampleur massive de ses formes, dont aucun embrasement intérieur ne venait colorer la fade fraîcheur, ni tordre et saccader les mouvements prosaïques : une épaisse stupidité de cœur recouvrait cet homme comme une armure de plomb, et l’approche même d’une effroyable avalanche (ici, j’écoutai à deux oreilles) ne suffisait pas à lui inspirer les égoïstes alarmes de la frayeur la plus vulgaire.

« Cependant la nuit approchait, les noires dentelures des cimes semblaient mordre les nuages du soir, et les gorges du Saint-Bernard absorber, immenses gueules, les dernières lueurs du couchant. L’avalanche était là, béante, insondable, pâle comme un linceul, avide comme une tombe ! Tout à coup, une blanche apparition s’élance, tournoie, et s’abîme dans le gouffre… C’est Emma ! (Emma ! m’écriai-je… en moi-même.) Plus prompt