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sans surveillance. Ces mouvements bizarres me faisant peur à moi-même, je croisai les bras, et je commençai à me promener en ligne droite, au grand détriment des choux et des laitues, car pour un empire je n’aurais dévié vers le bocage et les sentiers.




Encore moins aurais-je dévié vers l’autre côté de cette petite plaine, car c’était là que, dans mon enfance, j’avais vu, étendu sur la grève… Aussi, bien que du coin de l’œil je donnasse une attention particulière à ce côté de l’espace, j’évitais d’y regarder en face, et surtout de me rendre compte des motifs qui m’en tenaient éloigné.

Mais cet effort même tournait contre moi. En repoussant le monstre, je lui donnais de la prise ; en voulant l’écarter de ma pensée, je l’y amenais… déjà il en forçait l’entrée. C’était un affreux assemblage d’os et de dents, un œil sans regard, une bête toute de côtes et de vertèbres qui se mouvaient et craquaient en trottant vers moi. Et j’en étais à lutter de très-près, lorsque, par l’effet du chemin que j’avais fait, les immenses bras de la grande roue m’apparurent tout à coup, à quelques pas, tournoyant mystérieusement dans l’ombre. J’eus le temps de pressentir quel affreux rapprochement allait s’opérer ; aussi, recueillant tout ce qui me restait de sang-froid, je rebroussai doucement, et je me mis à siffler d’un air dégagé. Quand un homme qui a peur en est à siffler, l’on peut compter qu’il est extraordinairement bas.




Je n’eus pas plus tôt rebroussé, que le rapprochement se fit de la roue et du monstre aux vertèbres. Je l’en-