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aussitôt à l’heure avancée, je me levai pour reprendre ma route. À peine avais-je perdu de vue la cure depuis quelques instants, que mon cœur commença à se gonfler de tristesse. Je dépassai le chariot ; mais lorsque, m’étant retourné, je le vis qui allait aussi disparaître derrière le coteau, et me laisser seul, mes larmes coulèrent. J’entrai dans un pré ; et, m’étant jeté sur l’herbe, mes regrets éclatèrent en bouillants sanglots. À l’image de Louise, qui m’était ôtée pour toujours, je poussais des accents confus de douleur. « Ah ! Louise, murmurai-je avec désespoir, Louise… vous qui m’aimiez… Louise !… pourquoi vous ai-je connue ?… Et vous, M. Prévère !… » Puis, restant quelque temps dans le silence, des projets extravagants se présentaient à mon esprit, qui suspendaient mes pleurs, jusqu’à ce qu’ils vinssent échouer contre l’insurmontable obstacle de mon respect pour ceux mêmes qui en étaient l’objet.




Quand je me relevai, la nuit couvrait depuis longtemps la campagne, et l’on n’entendait plus que le bruit lointain de la rivière. Deux lieues me restaient à faire avant d’arriver au village où M. Prévère m’avait adressé, pour y coucher ce soir-là chez un de ses amis. Je ne trouverais personne debout, il faudrait faire lever les gens, et l’idée de voir du monde m’était insupportable. Je commençai à entrevoir que je pouvais passer la nuit dans l’endroit où j’étais. Le lendemain, qui était un dimanche, je partirais avant le jour, et j’arriverais le soir à la ville sans avoir eu à converser avec personne qu’avec moi-même. Ce projet, qui séduisait ma tristesse, fut bientôt arrêté, et je marchai vers la haie pour m’y choisir un abri.