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cessèrent ; et, après la seconde prière, dont quelques expressions avaient provoqué une attention plus particulière, M. Prévère ouvrit la Bible, et y lut ces mots : Quiconque reçoit ce petit enfant en mon nom, il me reçoit. Puis il parla ainsi :


« Mes chers paroissiens…

« Permettez que j’interrompe aujourd’hui le cours ordinaire de nos instructions. J’ai à vous faire entendre des vérités qu’il n’est plus opportun de vous taire. Puissiez-vous les écouter avec humilité ! puissent-elles sortir de mes lèvres pures de passion et d’aigreur !

« Il y a dix-sept ans que nous fûmes attirés, vers onze heures du soir, par les cris d’un petit enfant. C’était dans la cour même de cette cure : vous le savez, Pierre, et vous aussi, Joseph, qui vous trouvâtes là dans ce moment. La pauvre créature, enveloppée de haillons, était transie de froid. Nous la recueillîmes, nous la réchauffâmes, et nous lui cherchâmes une nourrice parmi les mères de cette paroisse… Aucune ne refusa, aucune ne vint ; et, dès cette nuit même, notre chèvre, mes frères..... notre chèvre lui donna son lait.

« Dieu permit dans sa bonté qu’il puisât au sein de ce pauvre animal la force et la santé. Mais il ne reçut pas les tendres soins qui appartiennent à cet âge ; au lieu des caresses que vous prodiguez à vos enfants, une curiosité maligne entoura son berceau, et à peine entrait-il dans la vie, que déjà tout le poids d’un préjugé barbare pesait sur son innocente tête… Ai-je tort de dire cela ? ou bien vous souvient-il que cet enfant, qui n’avait pas de mère, eut peine à trouver au milieu de vous un homme qui voulût lui donner son nom et le présenter au baptême ?…