LA BIBLIOTHÈQUE DE MON ONCLE.
I.
J’ai connu des gens élevés sur le seuil de la boutique de leur père ; ils avaient retenu de ce genre de vie certaine connaissance pratique des hommes, certain penchant musard, le goût des rues, quelque trivialité d’idées, la morale et les préjugés du quartier. On en a fait des avocats, des ministres, et dans chacune de ces vocations ils ont apporté de ce seuil de boutique bien des éléments bons ou mauvais, toujours ineffaçables.
D’autres, en ce temps-là, je veux dire vers quinze ans, avaient leur petite chambre sur une cour silencieuse, sur des toits déserts. Ils y sont devenus méditatifs, peu au fait des affaires de la rue, assez riches d’observations privées sur un petit nombre de voisins. Ils y ont acquis une connaissance de l’homme moins générale, mais plus intime. Combien de fois aussi, privés de tout spectacle, ils ont vécu avec eux seuls ; pendant que l’autre, sur son seuil, toujours récréé par la vue de quelque objet nouveau, n’avait ni le temps ni l’envie de faire connaissance avec lui-même. Avocat