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un homme en prison, toute ma sympathie était pour les gendarmes, toute mon horreur pour cet homme. Ce n’était ni cruauté ni bassesse ; c’était droiture. Plus vicieux, j’aurais détesté les gendarmes, plaint l’homme.

Un jour, j’en vis passer un qui alluma toute mon indignation. C’était le complice d’un atroce assassin. Entre eux deux, ils avaient tué un vieillard pour s’emparer de son argent ; puis, aperçus par un enfant au moment du crime, ils s’étaient défaits de cet innocent témoin par un second meurtre. Le camarade de cet homme avait été condamné à mort ; mais lui, soit habileté dans la défense, soit quelque circonstance atténuante, était condamné seulement à une réclusion perpétuelle. Au moment où, près d’entrer dans la prison, il passa sous ma fenêtre, il regardait les maisons voisines avec curiosité. Ses yeux ayant rencontré les miens, il sourit comme s’il m’avait connu !

Ce sourire me fit une impression sinistre et profonde. Pendant toute la journée rien ne put le chasser de ma pensée. Je résolus d’en parler à mon maître, qui saisit cette occasion pour me faire une remontrance sur le temps considérable que je perdais à regarder dans la rue.




C’était, quand j’y songe, un drôle d’homme que mon maître : moral et pédant, respectable et risible, grave et ridicule, en telle sorte qu’il me faisait une impression à la fois vénérable et bouffonne. Tel est pourtant l’empire de l’honnêteté, l’ascendant des principes, lorsque la conduite est en accord avec eux, que, malgré l’effet vraiment risible que me faisait M. Ratin, il avait sur moi plus d’influence que tel maître bien plus habile, ou bien plus sensé, mais en qui j’aurais surpris le moin-