Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/75

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Dieu merci, que mon cœur est pur et mon âme sans tache ! Il se tut encore. Cette fois c’était un gendarme. J’hésitai à l’appeler pour lui redire les paroles du prisonnier ; mais ces paroles mêmes avaient déjà assez agi sur ma crédulité pour que je comprimasse ce mouvement. Il me semblait d’ailleurs qu’il y eût eu quelque trahison à le faire, puisque le prisonnier s’était fié à la candeur de mon visage. C’eût été démentir un éloge qui flattait mon amour-propre. J’ai dit plus haut que le bourgeon s’alimente de tout ; il n’est main si vile qui ne puisse encore le chatouiller agréablement.

Après cet entretien, qui m’avait attiré vers la fenêtre, le prisonnier continuant à se taire, je retournai à mon hanneton.




Je suis certain que je dus pâlir. Le mal était grand, irréparable ! Je commençai par saisir celui qui en était l’auteur, et je le jetai par la fenêtre. Après quoi, j’examinai avec terreur l’état désespéré des choses.

On voyait une longue trace noire qui, partie du chapitre quatre de Bello gallico, allait droit vers la marge de gauche ; là, l’animal, trouvant la tranche trop roide pour descendre, avait rebroussé vers la marge de droite ; puis, étant remonté vers le nord, il s’était décidé à passer du livre sur le rebord de l’encrier, d’où, par une pente douce et polie, il avait glissé dans l’abîme, dans la géhenne, dans l’encre, pour son malheur et pour le mien !

Là, le hanneton, ayant malheureusement compris qu’il se fourvoyait, avait résolu de rebrousser chemin ; et, en deuil de la tête aux pieds, il était sorti de l’encre pour retourner au chapitre quatre de Bello gallico, où je le retrouvai qui n’y comprenait rien.