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tachait autant que ses paroles ; sa beauté égalait sa gloire, et devant sa renommée avait pâli celle de tous les autres. Abeilard disputait, dans les écoles, sur les questions qui s’agitaient alors ; et, dans ces tournois, il avait terrassé tous ses adversaires sous les yeux de la foule, sous les yeux des femmes qui se pressaient dans l’amphithéâtre, attentives aux grâces du bel athlète.

Parmi cette foule se trouvait la nièce du chanoine. Cette fille, distinguée d’esprit, ardente de cœur, écoutait avec trouble. Les yeux attachés sur le jeune homme, elle dévorait ses paroles, elle suivait ses gestes, elle combattait avec lui, elle terrassait avec lui, elle s’enivrait de ses triomphes ; et, sans le savoir, elle s’abreuvait à longs traits d’un ardent et impérissable amour. C’est la science qu’elle croyait aimer : aussi son oncle, charmé de cultiver d’heureux dons, appelait auprès d’elle Abeilard pour la guider et pour l’instruire… Heureux amants ! chanoine insensé ! …

Ici commençait le travail du rat.




Je passai au revers ; mais que tout était changé !

Héloïse avait pris le voile… J’en fus ému, car je l’aimais, je partageais son ivresse, et, belle que je me la figurais déjà, je la vis alors plus belle de tristesse, plus jeune sous les antiques arceaux du cloître d’Argenteuil, plus touchante succombant à ses douleurs jusqu’au pied des autels… Le livre relatait le tout dans un gothique langage ; de ses pages antiques s’échappait comme un parfum de vétusté, en telle sorte que la vive impression du passé mariait son charme à la fraîcheur juvénile de mes sentiments.

Cachée dans ce monastère, Héloïse s’efforçait d’é-